Pourquoi n’a-t-on pas de fonds de grève ?

11 mars 2020

Avec l’intensification des moyens de pression à venir dans le cadre de la négo nationale, plusieurs se demandent si la grève est une option à envisager. Nous aurons l’opportunité d’en discuter, évidemment. À ce propos, une personne déléguée me demandait récemment pourquoi nous n’avons pas de fonds de grève. La question est fort légitime.

Précisons, d’abord, que le fonds de grève est un outil dont se dotent surtout les employés syndiqués du secteur privé ou parapublic, puisqu’ils ne sont pas soumis aux aléas de la Loi 37 encadrant la négociation collective dans le secteur public ni aux mêmes règles relatives aux services essentiels. Autrement dit, dans leur secteur, la grève peut durer plus longtemps.

Mais ensuite, c’est surtout le coût de la mise en place d’un fonds de défense qui nous intéresse ici, un point qui revient périodiquement au conseil d’administration ainsi qu’au congrès. Faisons un bref exercice d’évaluation de l’impact des coûts projetés pour notre organisation syndicale.

Un fonds de grève sert, habituellement, à donner un montant forfaitaire aux grévistes présents aux activités de piquetage ou lors des manifestations organisées pendant les journées de grève. On verse, par exemple, un montant variant entre 50 $ et 100 $ par journée de grève.

En se fiant aux journées de grève qu’a connues le Syndicat de Champlain en 2015, près de 5 000 membres ont participé aux activités chaque jour. Or, on peut penser qu’en donnant un montant forfaitaire journalier, plus de membres feraient alors l’effort d’être présents. On peut donc évaluer le nombre de membres qui participeraient aux activités quotidiennes à quelque 9 000. Ce qui signifie que pour un forfaitaire de 100 $, il en coûterait donc potentiellement 900 000 $ par jour.

Si l’objectif d’un tel fonds est de pouvoir tenir plus longtemps la grève, faut-il prévoir des sommes pour deux semaines ? Trois ? Plus ? En tenant compte d’un certain essoufflement de la mobilisation, disons que nous établissons le coût moyen du montant forfaitaire à 750 000 $ par jour. On parle tout de même d’un fonds de grève de plus de 10 millions $ pour un peu plus de deux semaines !

Bien sûr que nous pourrions y arriver, mais il y aurait alors des choix à faire, dont l’augmentation des cotisations syndicales. Jusqu’à présent, c’est un choix que le conseil d’administration ne souhaite pas, en toute cohérence avec la volonté de la majorité des membres du Syndicat qui ont d’ailleurs voté en faveur de la reconduction d’un congé de cotisation lors du dernier congrès, la faisant passer de 1,55 % à 1,5 %.

Ceci étant dit, on pourrait parler de chiffres longtemps, mais la vraie question dont il faudra bientôt discuter ensemble est la suivante : La grève sera-t-elle vraiment, cette fois-ci, la bonne stratégie à adopter pour faire des gains ? Si nous sommes collectivement exaspérés des psychodrames reliés aux négociations dans le secteur public, il faudra aussi nous demander si répéter les mêmes stratégies, négo après négo, est vraiment la bonne solution !

Éric Gingras