Les journaux, Facebook et Champlain

16 février 2017

Lors de la dernière ronde de négociations nationales, le Syndicat de Champlain a innové par son utilisation d’Internet et des réseaux sociaux pour informer et mobiliser ses membres.

Ce virage informationnel et technologique résultait de la mise en application de résolutions adoptées, il y a trois ans, au dernier congrès du Syndicat. Le prochain congrès, à la fin du mois de mars, sera l’occasion d’en faire un bilan détaillé.

Pour alimenter d’ici là notre réflexion, il n’est pas sans intérêt de jeter un oeil sur un rapport récemment publié pour le Forum des politiques publiques du Canada et intitulé « Le miroir éclaté: Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique».

Quand Facebook remplace les journaux

Le rapport constate que le déclin des journaux est inexorable. Au début des années 50, il se vendait plus de journaux chaque jour qu’il y avait de foyers au Canada. Mais, en 1995, au moment où l’accès à Internet est devenu commercialement disponible, le taux de pénétration dans les foyers a chuté en dessous de 50 pour cent. Aujourd’hui, moins d’un foyer sur cinq achète un journal.

Internet a remplacé les journaux comme source principale d’information mais, donnée encore plus révélatrice, Facebook est devenue, pour la majorité de la population, la principale source d’information, loin devant les journaux, la télévision, la radio… et les sites des grands médias.

Ainsi, les sites d’information francophone et anglophone de Radio-Canada, les plus visités au Canada, attirent 15 millions de personnes par MOIS. Facebook compte 17 millions d’utilisateurs actifs au Canada par JOUR !

Les recettes publicitaires sont à l’avenant. Google et Facebook empochent deux dollars sur trois dépensés dans la publicité numérique au Canada.

Le modèle d’affaires des journaux, basé sur la vente de publicités, est plombé, non seulement par Google et Facebook, mais aussi par la perte des « petites annonces » au profit de sites comme eBay, Craigslist, Kijiji.

Entre 2000 et 2008, les « petites annonces » ont rapporté aux quotidiens canadiens plus de 800 millions $ par an, avec un record historique de 875 millions $ en 2005, année de lancement de Kijiji au Canada. Dix ans plus tard, en 2015, ce chiffre a chuté à 119 millions $, et va inévitablement atteindre zéro.

Un changement structurel profond

Selon le rapport, le « modèle économique» fondé sur une combinaison vieille de plusieurs siècles, qui alliait un certain type de contenu éditorial à un certain type de communication commerciale, est irrémédiablement cassé. Le déclin des médias d’information traditionnels n’est pas simplement le résultat de leurs piètres performances face à de nouveaux concurrents. L’avènement des réseaux d’accès informatisé dans la communication sociale relève d’un phénomène tout autre et constitue un changement structurel profond.

De Twitter à YouTube en passant par Instagram et Wattpad, le XXIe siècle est un vivier d’expression personnelle. La Toile a conféré le pouvoir de s’adresser au public à toute personne intéressée par les questions politiques, sociales, culturelles et commerciales, ou simplement à toute personne prenant plaisir à rendre compte des divers moments de la vie quotidienne.

Désormais, les groupes d’intérêt se fondent et se mobilisent selon des modalités auparavant impossibles.

Bien entendu, cette profusion d’échanges sur la Toile ne peut pas remplacer les 12 000 postes de journalistes perdus au cours des dernières décennies dans les médias traditionnels.

Donald Trump avait beau déclarer en 2014 que la possession d’un compte Twitter « c’est comme si on possède le New York Times, sans les pertes », il n’y a pas de comparaison possible entre la qualité de l’information provenant du compte Twitter du président et celle du prestigieux journal new-yorkais.

Une autre source d’inquiétude est la déclaration d’Adam Mosseri, vice-président du fil d’actualités de Facebook. Lorsque Facebook a ajusté son algorithme en juin dernier pour augmenter son avance sur les médias traditionnels, il a déclaré :

« Notre activité ne consiste pas à sélectionner les thématiques auxquelles le monde doit s’intéresser. Notre activité consiste à connecter les personnes et les idées, et à fournir aux gens les histoires qui correspondent à leurs attentes. Nous faisons cela aussi parce que c’est bon pour notre chiffre d’affaires ».

Le rapport fait différentes recommandations au gouvernement pour renforcer la durabilité économique des médias d’information et promouvoir le journalisme. Un objectif que nous partageons.

Cependant, déjà, au niveau du Syndicat de Champlain, nous devons profiter des possibilités extraordinaires qu’offrent les réseaux sociaux pour bien informer nos membres, dialoguer avec eux, et développer notre organisation.

Pierre Dubuc